30 août 2009

Être là où est la question

Ça prend de l'humilité pour l'admettre; je suis une pseudo-philosophe à cinq cennes. Je mène une vie à quatre ou cinq dimensions, je fais des analogies aux deux minutes, je compare sans cesse ce qui ne se compare pas et si je me laisse aller, j'ose essayer d'inventer de nouveaux adages profonds en rêvant secrètement que quelqu'un les répète. Si c'était de mon époque (et si je n'étais pas si radicalement influençable et attirée par le vice), je passerais mes journées dans des cafés enfumés à défendre des points de vue qui ne me font ni chaud ni froid.

Cette tendance que j'ai me fait beaucoup réfléchir sur les qualifications requises pour exercer le métier de philosophe, métier pour le moins intrigant, le numéro un des métiers qui ne s'apprennent pas (ex aequo avec celui d'aidant naturel, basé sur la technique d'apprentissage du nourrisson qu'on jette dans la piscine, la piscine étant ici une couche pleine et une salle de séjour convertie en chambre d'hôpital) mais qui s'imposent et un métier dont la source de rémunération est vague (pas autant, tout de même, que celle d'un maître Reiki, qui raconte vraiment n'importe quoi en échange d'une fortune).

Un métier dont le titre est attribué soit quelques temps après la mort de l'individu - ce qui expliquerait pourquoi nous n'en côtoyons aucun (non, Francis Reddy n'est pas un philosophe, Jacques Languirand non plus, La Bombardier surtout pas) pour pouvoir dire quelque chose de positif à ses funérailles comme: ''Quel grand philosophe il faisait!'' au lieu de dire ce que chacun pense: ''Il disait vraiment n'importe quoi et nous importunait toujours en fin de soirée avec ses théories obscures...'', ''Nous avons toujours su qu'il était schizophrène...'', ou encore ''S'il avait agit au lieu de radoter des âneries, nous n'en serions pas là à lui inventer un métier pour qu'il ait l'air moins perdant à son enterrement'' - soit en accompagnement d'un autre titre plus prestigieux: psychiatre et philosophe, écrivain et philosophe, théologien et philosophe, physicien et philosophe, peintre et philosophe, tous des exemples dans lesquels on peut remplacer le mot ''philosophe'' par ''weirdo'' pour faire comprendre sans le nommer que nous parlons d'individus compétents mais qui peuvent disjoncter à tout moment.

Je ne suis pas une vraie philosophe, donc. Du moins, pas tant que je serai vivante. Après, ce sera à ma famille de décider. Mais ma consécration est plus ou moins possible. J'ai trop de suite dans les idées et j'ai trop peur de la polémique, ce qui m'empêche, je pense, de dépasser les limites du vrai pathétisme. Aussi, j'ai une soeur assez terre-à-terre qui se chargera de me ramener sur le plancher des vaches si jamais je m'égare. À chacun ses garde-fous. Le mien est mon aînée - par définition, incarne la raison - et elle fait de la boxe, alors je me tiens tranquille.
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15 août 2009

Les retombées de la Dernière Cène?

Si ma mémoire est bonne, je n'ai jamais été friande des repas partagés avec d'autres. Enfant, c'était pour moi une perte de temps. Ensuite, ce fut le mal nécessaire avant de pouvoir ingérer une grande quantité d'alcool tout en restant sur mes deux pieds. Maintenant, simple question d'intimité. Je n'aime avoir de la compagnie lorsque je m'introduis quelque chose dans l'organisme. Assister aux ingestions d'autrui ne m'intéresse plus non plus. Pour moi, les aliments ont une fonction réparatrice avant tout, ce qui implique que dans mon livre à moi, les gens se réunissent pour manger dans le but de réparer à mesure les blessures sournoises qu'ils se causent entre eux en se prêtant au jeu dangereux des relations interpersonnelles. Ce n'est pas pour rien que les gens se gavent davantage en groupe - et se permettent plus aisément de ''tricher'' - qu'en solitaire. Depuis la nuit des temps.

N'importe quoi, dites-vous peut-être. Tout à fait. Il reste que si la bouffe est un élément rassembleur, c'est d'abord et avant tout parce qu'il est malaisant de n'installer ni prétexte ni attraction au milieu d'un groupe et que la seule présence de compagnons de qualité, depuis la même nuit des temps, ne semble pas suffire à répondre aux critères qui assurent un moment parfaitement satisfaisant. Il faut la combiner à une raclette ou à un méchoui, certains préfèrent les vins et fromages ou les épluchettes de blé d'inde (une occasion pour plusieurs, disons-le, d'avaler treize hot-dogs et un seul épi, en élaborant beaucoup trop sur la couleur des grains et le goût particulièrement sucré du dit légume cette année-là). Que voulez-vous? Peut-être faut-il absolument occuper nos sens ailleurs pour éviter de considérer la gravité de ce genre de réunions? Si une pomme par jour éloigne le médecin pour toujours, l'entreprise de digestion de treize hot-dogs éloigne pour au moins deux bonnes heures toute réflexion déprimante sur l'éphémérité de la vie et sur l'importance de profiter des gens qu'on aime (profiter dans le sens de savourer leur présence, pas dans le sens d'utiliser leur piscine ou de voler leur argent).

Que la nourriture, pour moi, soit reliée à l'intimité n'est pas étonnant. J'ai très peu de prédispositions à l'intimité en général. Mais je crois fermement qu'il y ait quelque chose de particulièrement gênant dans le fait d'exposer à tout vent ce que l'on consomme pour vivre. Par comparaison, manger est aussi naturel et vital que son contraire - qui s'exécute la plupart du temps aux toilettes derrière une porte barrée - ou que se reproduire - qui s'exécute la plupart du temps au sein d'un groupe de deux dans des conditions d'extrême familiarité. Bizarre que le fait de se nourrir ne mérite pas le même traitement. Pourtant, constater qu'une vague collègue de bureau apporte dans son lunch une espèce de ''stew'' rosâtre qui sent l'écurie donne à mon avis autant d'informations accessoires et perturbantes que si elle tentait de se reproduire sur son lieu de travail.

J'ai déjà donné mon avis sur les diners d'affaires et mon opinion n'a pas changé. Partager un repas avec un client, c'est en quelque sorte être en contact avec un élément qui visitera bientôt les intestins d'un inconnu. C'est définitivement une sorte de curiosité que je n'ai pas.

Finalement, comme activité rassembleuse, je préfère les jeux de sociétés. Je ne les aime tout de même pas, à cause de leur propriété à faire éclater au grand jour le pire de chacun - les défaillances de l'estime de soi, les troubles de concentration, la propension à la tricherie - sous des dehors anodins qui laissent croire à tort que les participants s'amuseront autant que ceux qui apparaissent sur la boîte et que le ressentiment qui plane après la partie ne laissera pas de cicatrices...

Bref, je rêve d'un groupe dans lequel les gens n'ont pas de prétexte pour se voir et où tout le monde arrive disponible, le ventre plein, déjà satisfait, et dans lequel chacun n'est pas assigné à une tâche précise qui les isolera forcément et qui fera dévier leur attention sur un menu et sur la grosseur des légumes à couper. Si j'avais été une apôtre, j'aurais sûrement accepté l'invitation pour la Dernière Cène mais je serais arrivée après le dessert.

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