N'importe quoi, dites-vous peut-être. Tout à fait. Il reste que si la bouffe est un élément rassembleur, c'est d'abord et avant tout parce qu'il est malaisant de n'installer ni prétexte ni attraction au milieu d'un groupe et que la seule présence de compagnons de qualité, depuis la même nuit des temps, ne semble pas suffire à répondre aux critères qui assurent un moment parfaitement satisfaisant. Il faut la combiner à une raclette ou à un méchoui, certains préfèrent les vins et fromages ou les épluchettes de blé d'inde (une occasion pour plusieurs, disons-le, d'avaler treize hot-dogs et un seul épi, en élaborant beaucoup trop sur la couleur des grains et le goût particulièrement sucré du dit légume cette année-là). Que voulez-vous? Peut-être faut-il absolument occuper nos sens ailleurs pour éviter de considérer la gravité de ce genre de réunions? Si une pomme par jour éloigne le médecin pour toujours, l'entreprise de digestion de treize hot-dogs éloigne pour au moins deux bonnes heures toute réflexion déprimante sur l'éphémérité de la vie et sur l'importance de profiter des gens qu'on aime (profiter dans le sens de savourer leur présence, pas dans le sens d'utiliser leur piscine ou de voler leur argent).
Que la nourriture, pour moi, soit reliée à l'intimité n'est pas étonnant. J'ai très peu de prédispositions à l'intimité en général. Mais je crois fermement qu'il y ait quelque chose de particulièrement gênant dans le fait d'exposer à tout vent ce que l'on consomme pour vivre. Par comparaison, manger est aussi naturel et vital que son contraire - qui s'exécute la plupart du temps aux toilettes derrière une porte barrée - ou que se reproduire - qui s'exécute la plupart du temps au sein d'un groupe de deux dans des conditions d'extrême familiarité. Bizarre que le fait de se nourrir ne mérite pas le même traitement. Pourtant, constater qu'une vague collègue de bureau apporte dans son lunch une espèce de ''stew'' rosâtre qui sent l'écurie donne à mon avis autant d'informations accessoires et perturbantes que si elle tentait de se reproduire sur son lieu de travail.
J'ai déjà donné mon avis sur les diners d'affaires et mon opinion n'a pas changé. Partager un repas avec un client, c'est en quelque sorte être en contact avec un élément qui visitera bientôt les intestins d'un inconnu. C'est définitivement une sorte de curiosité que je n'ai pas.
Finalement, comme activité rassembleuse, je préfère les jeux de sociétés. Je ne les aime tout de même pas, à cause de leur propriété à faire éclater au grand jour le pire de chacun - les défaillances de l'estime de soi, les troubles de concentration, la propension à la tricherie - sous des dehors anodins qui laissent croire à tort que les participants s'amuseront autant que ceux qui apparaissent sur la boîte et que le ressentiment qui plane après la partie ne laissera pas de cicatrices...
Bref, je rêve d'un groupe dans lequel les gens n'ont pas de prétexte pour se voir et où tout le monde arrive disponible, le ventre plein, déjà satisfait, et dans lequel chacun n'est pas assigné à une tâche précise qui les isolera forcément et qui fera dévier leur attention sur un menu et sur la grosseur des légumes à couper. Si j'avais été une apôtre, j'aurais sûrement accepté l'invitation pour la Dernière Cène mais je serais arrivée après le dessert.
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