25 octobre 2009

Dis-moi où tu habites

J'essaie d'habiter Montréal. J'ai toujours habité ma tête, ça c'est réglé. J'habite de plus en plus mon corps, après des années de travail et d'observation. Je commence à peine à habiter mon appartement... après 5 ans. Cette ville dont on inscrit le nom en-dessous du mien sur le courrier que l'on m'adresse ne me dit pourtant pas grand-chose. Je me souviens de l'avoir choisie pour sa distance et son extravagance - j'ai déjà choisi des amants pour des raisons identiques - sans vraiment savoir de quoi elle était faite. Contrairement aux amants, toutefois, je suis restée avec elle dix ans.

Depuis tout récemment, je tente de l'habiter. Elle me nargue. Le changement de saison n'aide sûrement pas; jamais je ne reconnais la même ambiance, le même air, les mêmes odeurs. Mon quartier est mutilé par des rénovations bizarres qui coupent la rue Mont-Royal en deux et qui me laissent perplexe. De grands panneaux en bois, sur lesquels on a placardé des affiches qui font état de l'activité culturelle de la métropole, s'élèvent maintenant au milieu de la rue, contraignant le trafic à se déplacer exclusivement vers l'est... Il semble vouloir s'ériger un mur à nos dépends, séparant à tout jamais le nord du sud et forçant la population à se déverser dans le Jardin Botanique.

Encore une fois, je me trouve exactement sur la frontière et, libre de voiture, je navigue à contre-sens à travers les véhicules en pensant être la seule à n'y rien comprendre, moi qui vient tout juste de commencer à vouloir l'habiter, ma ville. Peut-être est-ce comme ça depuis dix ans ?

Le comble. À peine ai-je choisi de réfléchir sur ma position face à ce lieu distinct, me voici confrontée à l'arrivée de nouveaux amis. (Je ne parle pas ici des nouveaux amis Facebook, bien sûr... À moins que les vôtres vous posent des questions bien bien intenses. Je parle d'amis soudains qui vous font sursauter par leur pertinence dans votre vie à un certain moment et qui vous poussent à vouloir être pertinents dans la leur, immédiatement.)

Qui dit nouveaux amis dit discussions nouvelles, thèmes nouveaux et l'occasion, surtout, de répondre à de vieilles questions auxquelles on n'a pas eu la chance de répondre depuis l'université. Constater l'évolution, la régression ou la stagnation.

Quelle est ta relation avec ta famille? À quoi ressemble ta vie amoureuse? Pourquoi es-tu végétarienne? Pourquoi Montréal? Il devrait nous en arriver une par année, de ces personnes à qui l'on donne rapidement assez de crédit pour avoir envie de répondre honnêtement. Question de rester à jour avec soi-même.

Au détour, on se rend compte que nos réponses habituelles, notre discours intrinsèque, ne conviennent plus.

Voici, par exemple, des questions dont mes réponses ont changé depuis le dernier nouvel ami:

1. Quel âge as-tu?
Ancienne réponse: 20 ans. Euh, 22.
Nouvelle réponse: 30 ans. Euh, 27.

Conclusion: À 22 ans, je me pensais plus jeune que je ne l'étais. À 27, je me sens plus vieille que je ne le suis. Et ma relation avec les chiffres ne s'améliore pas.

2. Quel est ton but dans la vie?

Ancienne réponse: Être célèbre.
Nouvelle réponse: Être heureuse et sereine aujourd'hui et, si possible, demain.
Je ne vous dis pas toutes les réponses qu'il y a eu entre les deux...

Comment t'imagines-tu à 50 ans?

Ancienne réponse: Heureuse et sereine
Nouvelle réponse: Célèbre

Conclusion: J'ai de la suite dans les idées (ou peu d'imagination), mais mes idées viennent en alternance. Jadis, être heureuse et sereine était pour moi un idéal plate que j'atteindrais à 50 ans et, de grâce, pas avant. Maintenant, je crois que 50 ans est le seul âge auquel je pourrai bien gérer la célébrité et ce, à condition d'avoir été heureuse et sereine depuis bien longtemps. Veuillez noter qu'après avoir donné ma réponse, l'ancienne comme la nouvelle, je prie pour que mon nouvel interlocuteur ne me demande pas: ''Pourquoi?''

Mais il le fait, alors...

Pourquoi?

Ancienne réponse: Parce qu'à cet âge-là, je mériterai bien cela.
Nouvelle réponse: Parce qu'à cet âge-là, je mériterai bien cela.

Là-dessus, infaillible. Le mérite.

Et entre temps, bien de l'espace pour les nouvelles rencontres qui, disons-le, sont souvent responsables de l'éclosion des nouvelles réponses, plus vraies et plus éclairées que les anciennes. Si c'est à Montréal que je les trouve, ces gens épatants qui me rappellent que je ne suis pas ni le début ni la fin du monde, mais bien au milieu d'un tout qui finalement se débrouille plutôt bien, alors c'est assez pour me donner raison d'y vivre, à Montréal.

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