On peut dire que je suis radieuse. La joue rose, le muscle découpé, le cheveu sain. Pas un gramme de gras. Pas une journée sans jogging. Je pourrais paralyser quelqu’un avec une réplique.
Je prends les conseils, une nouveauté. Une vendeuse m’a dit qu’avec le gabarit que j’ai –celui d’un adolescent de quinze ans, lis-je dans son regard – je devais oser le style masculin et les robes taille empire. Il est vrai qu’avec des bretelles, on peut être à la fois sexy et étrangler quelqu’un. Avec la taille de robe dont elle parle, on met en valeur une petite poitrine et on dissimule les accessoires volés. Vendu. J’ai acheté toutes ses propositions, même si en d’autres temps, j’aurais fui dès l’utilisation du mot ‘’gabarit’’ en introduction. Certaines sonorités de mots m'insultent lorsque je m’adonne à un exercice qui met à l’épreuve ma féminité.
Semble-t-il que le meilleur moyen de passer inaperçue est de porter du linge ajusté à sa taille, en suivant les tendances et les saisons. Des règles de base. Dissimulation de la personnalité sous les vêtements de la fille d’à côté. C’était le but. Même chose pour les cheveux. La frange, cette année ? Va pour la frange. Se fondre dans le décor et en profiter pour se refaire une santé. Si j’eusse été un blaireau, j'aurais hiberné volontiers cette année.
Tout le monde respire mieux. On me fait des compliments ; certains sonnent comme des remerciements. Il était temps, qu’ils me disent. Que? Que je soigne mon apparence selon les critères du plus grand nombre ? Que je ressemble à quelqu’un qui existe déjà, pour éviter d’exposer trop de nouveauté à des yeux qui doivent déjà s’accommoder aux variations du prix de l’essence? Un jour où je venais de rompre avec un moron, ma mère m’a complimentée sur mon teint ; en vérité, elle me remerciait de la débarrasser du gendre incongru qui minait son propre équilibre familial. Quoi qu’il en soit, si certains me trouvent désormais plus facile d’approche, je n’ai pourtant jamais été aussi bien cachée.
Pour être franche, mon ego fait le pied-de-grue derrière une frange, un agenda et un porte-monnaie. Des outils indispensables pour rassurer les gens que je côtoie au quotidien. Désormais, s’il me vient à l’idée de créer un malaise, comme de dire: ‘’Je me suis masturbée juste avant de me présenter à cette réunion pour éviter que ne soit déversée sur vous une énergie sexuelle que vous ne méritez pas’’, je sors mon agenda, fais semblant d’y prendre une note, contracte mon plancher pelvien et lance la phrase à demi-voix, l’air préoccupé. Ça passe encore serré mais beaucoup moins qu’en soutenant le regard d’un boomer qui avale son deuxième déjeuner. J’utilise mon agenda comme bouclier et je mérite le titre de ‘’jeune professionnelle vicieuse’’ au lieu de ‘’jeune vicieuse’’. Le porte-monnaie agit dans le même sens, laissant croire que si mes cartes, factures et autres preuves de participation sociale sont classées et compartimentées, ainsi le sont mes priorités de vie.
Je n’avais pas l’air d’une extraterrestre avant, qu’on me comprenne bien. Seulement, j’avais gardé le même look depuis l’adolescence, pour honorer mes choix de l’époque et parce que ma personnalité n’avait pas connu d’évolution marquante nécessitant une mise à jour. J’étais une adolescente très mature, intelligente et amusante. Diplomate et sensible. Orgueilleuse, déterminée et généralement heureuse. Je n’ai pas pris une livre en dix ans. Avec le cheveu sec, et alors ? On avait déjà voulu coucher avec moi au secondaire – je n’en demandais pas tant - ce qui me donnait, en plus d’avoir déjà une opinion effrontée sur tous les sujets, une assurance à toute épreuve et une expérience de vulnérabilité à raconter. Je m’attirais à la fois la sympathie des plus dégourdis et l’admiration des plus timides. Je pouvais nager allègrement dans l’océan de mes succès académiques sans craindre le rejet. La matière première de mon style était ma confiance en moi. Ça et les cigarettes que je vendais à l’unité. J’avais bien compris la stratégie ; pas besoin de se ruiner en orthodontie.
Selon le plan de match, les événements devaient se dérouler autrement. Je devais devenir célèbre autour de 22 ans, ce qui insinuait que je tombais rapidement entre les mains de professionnels de la beauté qui se chargeaient de faire de moi un papillon, sous les projecteurs et l’œil avide de mon public, à qui j’aurais donné tout le crédit de ma transformation. Ma part de travail consistait à garder un poids acceptable jusque-là, à ne jamais cesser d’enrichir mon vocabulaire et à pratiquer ces acrobaties syntaxiques jusqu’à ce qu’elles soient parfaitement intégrées et semblent improvisées en entrevue. Je pouvais en échange m’éviter de bûcher sur des aptitudes que je n’ai pas – celle de me coiffer, par exemple – et de devoir négocier avec les cosméticiennes de pharmacie, cette race de femmes insaisissable qui arrive d’un seul regard à t’émietter une estime de soi et à te faire rebrousser chemin en pensant : ’’Cette fille a raison. Je ne mérite pas un bon fond de teint. Je mérite qu’on m’assomme à coups de pelle pour être aussi laide et indésirable et oser sortir de chez moi.’’.
Mais les choses furent autrement. Faute d’avoir trouvé une vraie raison de faire la une des magazines, j’ai 26 ans et je dois m’arranger avec mes troubles dans le plus grand anonymat. Je n’arrive toujours pas à tracer une ligne de crayon correctement – si seulement je savais où la faire. Cependant, je peux jongler à cinq balles, j’ai appris le banjo par moi-même et je maîtrise les harmonies vocales. Je peux aussi avoir un orgasme sur commande. De ça, on ne me parle jamais pourtant.
Je suis sobre depuis 7 mois. De ça, on me parle beaucoup. Moi, je trouve le sujet ennuyant. Comme les 5 à 7 depuis 7 mois.
Je prends les conseils, une nouveauté. Une vendeuse m’a dit qu’avec le gabarit que j’ai –celui d’un adolescent de quinze ans, lis-je dans son regard – je devais oser le style masculin et les robes taille empire. Il est vrai qu’avec des bretelles, on peut être à la fois sexy et étrangler quelqu’un. Avec la taille de robe dont elle parle, on met en valeur une petite poitrine et on dissimule les accessoires volés. Vendu. J’ai acheté toutes ses propositions, même si en d’autres temps, j’aurais fui dès l’utilisation du mot ‘’gabarit’’ en introduction. Certaines sonorités de mots m'insultent lorsque je m’adonne à un exercice qui met à l’épreuve ma féminité.
Semble-t-il que le meilleur moyen de passer inaperçue est de porter du linge ajusté à sa taille, en suivant les tendances et les saisons. Des règles de base. Dissimulation de la personnalité sous les vêtements de la fille d’à côté. C’était le but. Même chose pour les cheveux. La frange, cette année ? Va pour la frange. Se fondre dans le décor et en profiter pour se refaire une santé. Si j’eusse été un blaireau, j'aurais hiberné volontiers cette année.
Tout le monde respire mieux. On me fait des compliments ; certains sonnent comme des remerciements. Il était temps, qu’ils me disent. Que? Que je soigne mon apparence selon les critères du plus grand nombre ? Que je ressemble à quelqu’un qui existe déjà, pour éviter d’exposer trop de nouveauté à des yeux qui doivent déjà s’accommoder aux variations du prix de l’essence? Un jour où je venais de rompre avec un moron, ma mère m’a complimentée sur mon teint ; en vérité, elle me remerciait de la débarrasser du gendre incongru qui minait son propre équilibre familial. Quoi qu’il en soit, si certains me trouvent désormais plus facile d’approche, je n’ai pourtant jamais été aussi bien cachée.
Pour être franche, mon ego fait le pied-de-grue derrière une frange, un agenda et un porte-monnaie. Des outils indispensables pour rassurer les gens que je côtoie au quotidien. Désormais, s’il me vient à l’idée de créer un malaise, comme de dire: ‘’Je me suis masturbée juste avant de me présenter à cette réunion pour éviter que ne soit déversée sur vous une énergie sexuelle que vous ne méritez pas’’, je sors mon agenda, fais semblant d’y prendre une note, contracte mon plancher pelvien et lance la phrase à demi-voix, l’air préoccupé. Ça passe encore serré mais beaucoup moins qu’en soutenant le regard d’un boomer qui avale son deuxième déjeuner. J’utilise mon agenda comme bouclier et je mérite le titre de ‘’jeune professionnelle vicieuse’’ au lieu de ‘’jeune vicieuse’’. Le porte-monnaie agit dans le même sens, laissant croire que si mes cartes, factures et autres preuves de participation sociale sont classées et compartimentées, ainsi le sont mes priorités de vie.
Je n’avais pas l’air d’une extraterrestre avant, qu’on me comprenne bien. Seulement, j’avais gardé le même look depuis l’adolescence, pour honorer mes choix de l’époque et parce que ma personnalité n’avait pas connu d’évolution marquante nécessitant une mise à jour. J’étais une adolescente très mature, intelligente et amusante. Diplomate et sensible. Orgueilleuse, déterminée et généralement heureuse. Je n’ai pas pris une livre en dix ans. Avec le cheveu sec, et alors ? On avait déjà voulu coucher avec moi au secondaire – je n’en demandais pas tant - ce qui me donnait, en plus d’avoir déjà une opinion effrontée sur tous les sujets, une assurance à toute épreuve et une expérience de vulnérabilité à raconter. Je m’attirais à la fois la sympathie des plus dégourdis et l’admiration des plus timides. Je pouvais nager allègrement dans l’océan de mes succès académiques sans craindre le rejet. La matière première de mon style était ma confiance en moi. Ça et les cigarettes que je vendais à l’unité. J’avais bien compris la stratégie ; pas besoin de se ruiner en orthodontie.
Selon le plan de match, les événements devaient se dérouler autrement. Je devais devenir célèbre autour de 22 ans, ce qui insinuait que je tombais rapidement entre les mains de professionnels de la beauté qui se chargeaient de faire de moi un papillon, sous les projecteurs et l’œil avide de mon public, à qui j’aurais donné tout le crédit de ma transformation. Ma part de travail consistait à garder un poids acceptable jusque-là, à ne jamais cesser d’enrichir mon vocabulaire et à pratiquer ces acrobaties syntaxiques jusqu’à ce qu’elles soient parfaitement intégrées et semblent improvisées en entrevue. Je pouvais en échange m’éviter de bûcher sur des aptitudes que je n’ai pas – celle de me coiffer, par exemple – et de devoir négocier avec les cosméticiennes de pharmacie, cette race de femmes insaisissable qui arrive d’un seul regard à t’émietter une estime de soi et à te faire rebrousser chemin en pensant : ’’Cette fille a raison. Je ne mérite pas un bon fond de teint. Je mérite qu’on m’assomme à coups de pelle pour être aussi laide et indésirable et oser sortir de chez moi.’’.
Mais les choses furent autrement. Faute d’avoir trouvé une vraie raison de faire la une des magazines, j’ai 26 ans et je dois m’arranger avec mes troubles dans le plus grand anonymat. Je n’arrive toujours pas à tracer une ligne de crayon correctement – si seulement je savais où la faire. Cependant, je peux jongler à cinq balles, j’ai appris le banjo par moi-même et je maîtrise les harmonies vocales. Je peux aussi avoir un orgasme sur commande. De ça, on ne me parle jamais pourtant.
Je suis sobre depuis 7 mois. De ça, on me parle beaucoup. Moi, je trouve le sujet ennuyant. Comme les 5 à 7 depuis 7 mois.
Commentaires à emmahblogue@live.ca
Belle plume!
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