30 janvier 2009

Les qualités de ses défauts

Une fête chez les amis d'un ami. Tout droit sorti du monde de l'insignifiance, un gars qui prend tout le monde par le cou, mais qui visiblement ne connaît personne, me prend par le cou. J'ignore comment, mais entre les phrases ''Bonsoir ma belle'' et '' Il a pris son verre comme les autres'', il a réussi à ploguer:

‘’Moi, j'ai l'oreille absolue.''

Bon.

À bien y penser, je le comprends de ne pas attendre le moment opportun pour lancer une telle affirmation. Jamais, dans une discussion entre deux êtres humains, le fil de la conversation ne prendra une tournure qui permettra de renchérir en disant: ''Moi, j'ai l'oreille absolue.'' Le pauvre a peut-être dû attendre des années sans jamais avoir l'opportunité de s'en vanter et, osant une bonne fois en parler sans qu'on le sonne et voyant le bonheur que ça lui procurait, a décidé de remplacer ''Je m'appelle...'' par ''j'ai l'oreille absolue'', au risque de brusquer tout interlocuteur sensé.
Reste qu'il faut être sapré bien armé pour être investi d'un talent pareil. D'abord, comment le prouver? La démonstration du dit talent est une entreprise épuisante aux paramètres hyper complexes, en plus de ne pas intéresser grand monde. 1 personne sur 10 000 est dotée de cette qualité. Ce chiffre n'inclut pas ceux qui l'ignorent, ni ceux qui se le font accroire. Ce qui veut dire que pour prouver la véracité de cette donnée, ça nous prend Kent Nagano, un accordeur de piano, un diapason, et une bonne machine à café. Vite de même, aucun de ces éléments ne semblait à portée de main dans l'appartement où nous nous trouvions.

J'ai quitté l'endroit en me disant que mon pauvre investi était un cas désespéré. S'il s'attendait à ce que je lui commande un la mineur, il se trompait. En fait, je n'ai pas eu le temps puisqu'on entamait en choeur, dans la pièce voisine, le classique ''Igloo, igloo''. Il s'y précipita, tel un super-héros, voulant sauver les harmoniques de la dissonance.

À l'école primaire, j'avais eu l'idée de devenir daltonienne pour rivaliser avec un collègue de classe qui, pris de soubresauts et de tics sonores, se méritait toute l'attention. Un simple effort de mémoire - il suffisait de me rappeler de ne jamais nommer la bonne couleur - et je profitais des avantages des malades, la souffrance en moins. Je n'ai pas mis mon plan à exécution. Un concours que j'ai remporté m'a valu le titre de reine de la classe. Un des prix consistait à placer son pupitre devant la classe, face aux autres élèves et à porter tous les jours une couronne. Mon besoin d'attention était largement comblé, mettons, alors j'ai perdu intérêt à m'embarrasser d'un faux handicap.

C'est en me remémorant cet épisode que j'ai réalisé que j'étais peut-être passée à côté de l'homme de ma vie. Que le gars à l'oreille absolue était peut-être exactement de la même trempe que la mienne, plus courageux encore: victime d'un plan plutôt brillant, mis a exécution au primaire faute d'avoir gagné un concours, il est maintenant prisonnier de son propre mensonge (plus flatteur mais aussi encombrant), n'ayant jamais réussi à se faire un nouveau cercle d'amis et condamné à s'enfoncer davantage année après année. La possibilité que je sois tombée sur un cave demeure la plus plausible, cela dit.

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