6 février 2009

La minute du plus fort

En surfant sur le web pour commander un t-shirt de la nouvelle ligne de Jessica Barker, je suis tombée sur une annonce qui vantait les mérites de l'introspection. On proposait aux gens de prendre une minute par jour pour évaluer leur humeur et se demander: suis-je en voie de passer une belle journée ou dois-je faire un ajustement?

Je n'ai pas commandé de chandail parce que je n'aime pas les blagues qui coûtent 23$; j'ai plutôt évalué mon humeur. Pour me rendre compte que je venais de l'évaluer la minute d'avant, et celle d'avant. Nous, les individualistes, sommes comme ça. Nous avons bon coeur, mais nous avons un oeil sur l'extérieur et un oeil sur nous, à toute heure de la journée.

Plus tôt aujourd'hui, j'entre dans une boutique de vêtements, un oeil bien posé sur moi-même. Pour protéger mon humeur contre le vendeur à commission (que je connais et qui m'exaspère à tout coup, mais bon, j'aime son linge), je porte mon cellulaire à mon oreille et feins une discussion tout en examinant les propositions vestimentaires. Dans ma tête, mon armure est invincible. Où, dans mon comportement non verbal, ai-je pu laisser signifier un semblant de volonté d'avoir de l'aide? Où?

Il est venu quand même. M'a parlé fort, me demandant si la chemise me faisait. Pardon? Me demandant si la chemise me faisait. Pardon? Si la blouse me faisait, qu'il a dit, mais je préfère chemise. Je le faisais répéter, le téléphone à l'oreille, par souci, j'imagine, d'éducation (aussi, je n'avais pas en tête le morceau dont il parlait, je venais à peine d'entrer, je n'avais encore rien essayé, se trompait-il de cliente?, merde! il me rendait confuse). Pour étirer le moment jusqu'à ce qu'il se rende compte par lui-même que le fantasme de sa commission le rendait importun, je le fixais tout en m'excusant auprès de mon interlocuteur imaginaire. C'était sa minute contre ma minute.

Je comprends la crise. Les temps sont difficiles. En entrant dans sa boutique, j'ouvre mon jeu; j'annonce que j'ai peut-être l'intention de dépenser. Lui, seul au milieu de tout ce linge de fille, m'indique en suant comme un porc que les affaires vont mollo. Musique de duel. Introspection.

Moi: Quelle est mon humeur?

Mauvaise. J'ai un problème de confiance en moi lorsque je magasine et ça commence à devenir intoxiquant.

Lui: (évidemment, je n'arrive pas à décoder)

Moi: Dois-je faire un ajustement?

Bien sûr, je dois quitter la place en m'excusant et ranger ce foutu téléphone qui ne me rend service en rien puisqu'une partie de mon cerveau est occupé à soutenir une fausse conversation qui me ridiculise face à moi-même. Peut-être jouais-je si mal la fille occupée qu'il a immédiatement décelé la supercherie? Ai-je l'air de ne pas avoir la capacité d'être occupée? Ce genre de chose ne doit jamais arriver à Céline Galipeau. Donne-je l'impression de ne posséder aucun ami susceptible d'être véritablement au bout du fil?

Lui: (je ne décode toujours pas)

Minute écoulée. J'ai crissé mon camp, humiliée.


Pour que le truc de l'introspection fonctionne, il faudrait trouver un moyen d'aviser tout le monde et s'entendre sur une heure précise. Encore là, si tout le monde devait s'ajuster en même temps pour se remettre sur la voie de son propre bonheur, ce serait le Far West et je connais un vendeur qui, à l'heure qu'il est, croupirait sous un rack à linge.

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