Les boucs émissaires sont ma race de monde préférée. Je suis au courant qu'ils font reluire ma personnalité. Je me déverse sur eux depuis toujours, comme une rivière qui doit se jeter dans plus grand qu'elle pour exister. Pour accepter de mettre leurs faiblesses au profit de mon rayonnement, c'est qu'ils sont plus grands que moi, bien sûr, et moins faibles.
C'est la théorie du parasitisme, appliquée aux humains. Si les deux parties se respectent, chacun augmente ses chances de survie. Dans ce cas précis, le bouc émissaire me prête sa vulnérabilité, que j'utilise comme contenu humoristique, et je lui assure protection en échange. C'est un contrat tacite mais clair. Les deux doivent être à l'aise avec la réalité que l'un semblera plus heureux que l'autre en public. Dans l'entente, les deux savent bien que c'est faux.
Une bonne tête de turc ne fait jamais pitié. Personne n'a jamais senti le besoin de prendre la défense de Suzanne Lapointe (ici, une mise à jour est nécessaire).
En fait, si la pitié monte à la gorge de quiconque autour, c'est qu'il y a eu abus et qu'une clause du contrat n'a pas été respectée. Ça arrive à certaines occasions: excès d'alcool, un nouvel intervenant qui menace de voler la vedette, une soirée vraiment trop plate, etc. Dans tout cas de dérapage, c'est la faute de l'exubérant. Le bouc émissaire n'est jamais pointé du doigt, ce qui, dans la distribution naturelle des rôles, est un avantage certain pour lui.
Il reste que sans son persécuteur, le bouc émissaire resterait dans l'ombre, silencieux. Son statut est sa porte d'entrée dans le monde et il doit savoir en profiter. Parce qu'à tout moment, les rôles peuvent être inversés - Gilles Latulippe aurait pu tomber malade et être remplacé par, je ne sais pas, le Boucar Diouf de 1987 - et sans préavis, le martyrisé devient l'agresseur et doit frapper sur l'autre. Sinon, le public s'endort et c'est la fin.
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